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Bien Urbain - 05/07/2014 - Sur les murs de Besançon

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Après une inauguration haute en couleurs, la quatrième édition de Bien Urbain vient tout juste de s'achever.

Pendant un mois, une quinzaine d'artistes internationaux ont pu s'exprimer sur les murs de Besançon, tandis que de nombreux temps forts étaient proposés au public : projections de documentaires, rencontres avec les artistes, conférence, visites guidées, ateliers…

Les œuvres réalisées resteront inscrites sur les murs de la ville et complètent celles créées en 2011, 2012 et 2013.

Comme pour les précédentes éditions de Bien Urbain, je vous propose une petite rétrospective. A la fin de cet article, vous retrouverez une galerie photo de chacun des artistes.

Je vais revenir maintenant sur un des temps forts de ce festival, la conférence de Rafaël Schacter au FRAC Besançon-Franche-Comté, réalisée en partenariat avec l'ISBA.

Rafaël Schacter est chercheur associé en anthropologie à l'Universisty College de Londres, il vient de publier son Atlas du Street Art et du Graffiti au printemps 2014.

L'ouvrage a vite été salué par la critique comme étant l'ouvrage le plus approfondi et le plus complet sur le sujet.

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Plusieurs artistes qui participent à Bien Urbain cette année figurent dans le livre, et ont participé à la table ronde à la fin de la conférence.

Rafaël Schacter estime que l'époque actuelle voit émerger une nouvelle forme d'art, qui n'est ni du graffiti, ni du street art. L'auteur cherche à lui trouver un nom et à définir plus précisément cette nouvelle pratique.

Il commence par expliquer les différences entre le graffiti et le street art. C'est d'autant plus pertinent que les deux termes sont aujourd'hui souvent utilisés comme des synonymes, et que de plus en plus d'artistes refusent de renter dans l'une ou l'autre de ces deux cases

Le graffiti est apparu sur la côte est des USA dans les années 1960. Les auteurs n'avaient pas d'éducation artistique et agissaient sans pression institutionnelle. Le graffiti est pratiqué essentiellement à la bombe, de façon illégale sur les murs, les portes de garages, les camions et les trains. Le travail sur le lettrage et autour de la calligraphie a une place prédominante dans les œuvres réalisés. Rapidement des codes de langage et des codes sociaux sont apparus, avec un ensemble de valeurs très fortes. Cette codification a fait que le graffiti est, au final, devenu un art comme les autres.

Le street art arrive plus tard, dans les années 1990, en parallèle à la scène du graffiti. Le street art est plus figuratif, plus abstrait, plus accessible publiquement ; des techniques différentes sont utilisées en complément à la bombe comme le pochoir.

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On oppose souvent le street art au graffiti, le graffiti étant un outil de résistance ancien, authentique et pour certains sale, tandis que le street art en serait une version édulcorée, complétement fagocité par le marché de l'art. Le street art utilise la ville comme un moyen plutôt qu'une fin, pour pousser le public vers les galeries d'art.

Ces deux pratiques ont pour point commun l'importance de la « seconde peau », c'est-à-dire que le choix du support fait partie de l'œuvre. Elles sont interdépendantes de leur environnement, qu'elles le construisent ou le détruisent. Si on les retire de leur contexte – l'espace public – le graffiti n'est plus du graffiti et le street art n'est plus du street art.

Quid de la nouvelle forme d'art que souhaite définir Rafaël Schacter, qui n'est ni du graffiti ni du street art ?

Certains groupes d'artistes utilisent l'espace public comme un lieu d'expérimentation, d'expression et d'enquête, et les galeries comme un prolongement, plutôt que comme un lieu où ils pourraient juste vendre leur travail. Ils s'inspirent beaucoup du graffiti – certains l'ayant même pratiqué avant – mais ils sont aussi à la frontière d'autres formes d'art (art dada, vidéo, …)

Après avoir travaillé sans compter avec l'espace public, tous ces artistes sont devenus très conscients de cette espace, et notamment de la fragilité de son aspect public. Cette nouvelle forme d'art a émergé dans un temps de renouveau urbain séquestré par le capitalisme et la gentrification urbaine, en miroir de la privatisation galopante actuelle.

Rafaël Schacter nous montre ensuite des photographies de plusieurs œuvres.

Les détournements et transformations anarchiques de mobilier urbain de Brad Downey :

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Le geste de Brad Downey qui a taggué avec un extincteur rempli de gouache verte les vitrines de Lacoste pour dénoncer l'exploitation commerciale du street art par la firme lors d'un évènement.

Un autre projet de Brad Downey intitulé « reseach for someting concrete » (jeu de mot car concrete signifie concret et béton en anglais) ; l'artiste a gratté toutes les couches de peinture sur un mur pour révéler deux décennies de graffiti.

Ensuite, une peinture des Frères Ripoulain (nom choisi en hommage aux Frères Ripoulin) qui utilisent le graffiti comme passion par la manière d'agir, un moyen plutôt qu'une fin, modifiant la célèbre maxime « le graffiti c'est ce qui rend la ville plus intéressante que le graffiti ».

Puis une création intitulé « chemin du désir », réalisée en 2009 par les Frères Ripoulain. C'est une sorte de crop circle urbain, qui encourage les usagers à utiliser et à rejouer leur action, érodant le chemin à force de passage. Il ne représente plus seulement la route la plus courte d'un point A à un point B, mais une route étrange dans la planification de la ville.

Une autre performance des frères Ripoulain, « human hall of fame », apporte une réflexion sur la matérialité du graffiti et sur son statut d'écriture plutôt que de vandalisme. L'artiste est déguisé en homme sandwich blanc, tel un aimant à graffiti, invitant ceux qui croisent son chemin à écrire ou peindre sur lui.

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Puis Rafaël Schacter nous montre des œuvres de Momo, qui joue avec les formes abstraites, avec des collages, de la peinture et aussi un logiciel générant des formes en vidéo. Les collages jouent avec les formes et les structures autour d'eux, pour changer le statut des éléments qu'ils essayent d'imiter.

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Enfin, quelques œuvres de Ox, qui faisait partie des Frères Ripoulin, qui ont commencé en faisant des grosses formes avec des couleurs assez vives, puis petit à petit le vocabulaire s'est affiné pour être plus en relation avec le contexte.

Après cette présentation, la deuxième partie de la conférence commence avec une table ronde réunissant David Renault et Mathieu Tremblin, Ox, El Tono, Momo, Rafaël Schacter, et Jules Bay, une galeriste venant de Lima.

Chaque artiste explique son parcours, puis donne son avis sur la volonté de Rafaël Schacter de trouver un néologisme pour définir cette nouvelle forme d'art qui a émergée en parallèle au graffiti et au street art.

Mathieu des Frères Ripoulain : « Je suis assez d'accord avec Rafaël Schacter ; pour mon rapport à l'institution, je me suis mis à faire du graffiti à l'université car je dessinais bien, et j'ai trouvé que c'est exactement ce qu'il fallait faire pour changer les choses. Avec David on voulait sortir de la manière habituelle d'intervenir dans l'espace urbain. On a utilisé Internet pour avoir un feedback des personnes intéressées par notre démarche. Transformer l'espace de la galerie en atelier extérieur. Pour nous, il n'y a pas de conflit entre travailler en institution et travailler dehors. Une exposition est un espace d'archive ou de mise en lumière. Internet permet de diffuser soi-même son travail, mais il y a un gros problème avec le net : au début les artistes ont voulu donner un point de vue trop documenté et trop précis. Il y a une culture du re-blogging, je regrette que des gens qui vont voir le travail directement sur le net n'aient pas la même attention que ceux qui vont voir le travail en expo. Le terme ‘Art Actuel' définirait assez bien ces nouvelles pratiques. »

David des Frères Ripoulain : « Je suis moi aussi d'accord avec Rafaël Schacter, notamment sur l'idée de contexte, que je trouve essentielle. On a connu le graffiti in situ, sans Internet, la réception du graffiti se faisait dans la rue de façon physique ; une galerie est décontextualisée, revenir dans la rue c'est revenir aux sources. Je fais un parallèle avec le monde de la musique : Pierre Schaeffer (musique concrète) disait qu'on avait fait les choses à l'envers, on a créé des instruments pour ensuite faire de la musique. On pense toujours contextuellement, on évite de déplacer nos pièces. Une galerie doit avoir du sens par rapport à ses murs blancs. La difficulté : rendre visible mon travail ; c'était le contexte qui créait l'intensité du travail, mon travail devait plus être trouvé que montré. Internet est la première institution avec laquelle j'ai travaillé, mais j'ai craint que ce support dénature mon travail. Mathieu m'a amené à travailler avec Internet. Il y a aussi un double enjeu artistique et politique dans ces choix ; la version négative serait de bouffer à tous les râteliers, la version positive serait d'avoir plusieurs cordes à notre arc. Quant au terme à trouver, pour moi c'est plus une notion de scène que de pratique artistique. »

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Ox : « J'ai commencé à travailler avant qu'on parle de street art ; j'utilisais les panneaux d'affichage comme support de peinture classique, puis je me suis davantage consacré au travail intérieur sur toile. Ensuite au début 2000 je suis retourné travailler dans la rue, car pour mon travail en galerie il manquait quelque chose. Je ne cherche pas à redécorer la ville, je cherche à créer un instant assez furtif (mes œuvres sont assez éphémères) en dehors de ce qu'on a l'habitude de voir. J'avais utilisé la rue pour avoir une plus grande visibilité pour entrer dans des galeries, mais maintenant je n'ai plus envie d'utiliser la rue comme un tremplin. Je ne veux pas rentrer dans des débats sur la terminologie, ça ne me dérange pas qu'on me dise que je fais du street art ! »

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El tono : « Je suis assez d'accord avec Rafaël Schacter, on a un problème de terminologie ; on a rapidement été identifié au street art, mais on ne veut plus de cette étiquette car ça s'est transformé en quelque chose qui n'a plus rien à voir avec nous. Nous allons beaucoup plus loin que peindre quelque chose sur un mur. Ça peut être illégal, furtif, fait dans la nuit, mais pas incompatible avec les institutions. Ça n'a pas de sens de repeindre son travail pour une galerie, mais il y a des axes de travail permettant de faire le lien et d'être cohérent, sans perdre la furtivité et la fraicheur de la rue. Au lieu de dire ‘dans les galeries jamais' ou ‘arrêter la rue dès qu'on commence à travailler en galerie', il faut exploiter cette ligne. »

Momo : « Les artistes ne savent pas forcément ce qu'ils font, mais ce n'est pas grave, c'est spontané et naturel. J'ai compris beaucoup plus tard certaines choses que j'ai réalisées. Je voudrais préciser que je voyage beaucoup, j'ai un regard assez global : la gentrification arrive en même temps dans le monde entier. Internet est un facteur clef : les images circulent, tout le monde peut découvrir rapidement une œuvre réalisée n'importe où.

Cela génère une connaissance globale commune de l'art. Je reviens sur l'idée d'intuition ; c'est bien que des gens comme Rafaël Schacter puissent théoriser ce que nous vivons. Il faut savoir être curieux aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur
Ce qui est important ce n'est pas l'endroit mais la direction. Je suis intéressé par cette image des pionniers qui continuent d'avancer, et des sédentaires qui arrivent après. C'est un peu le bordel de rester un pionnier mais c'est intéressant ! »


Jules Bay : « Je travaille au Pérou, en galerie, majoritairement avec des artistes qui travaillent en extérieur. Je suis ravie d'être là, en Amérique Latine, c'est un terrain assez particulier, avec des choses communes et un terreau vraiment spécifique. Le contexte politique est à prendre en compte, il y a du street art (peintures dans la rue), mais le graffiti est arrivé très tard au Pérou, en 1994. C'est vraiment très intéressant de développer et d'accompagner ces pratiques d'art dans l'espace public.

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Au Pérou, depuis 30 ans, il n'y avait que de la propagande politique dans les rues ; j'ai décidé de ne pas faire attention à ça, de ne pas prendre en compte ce contexte politique très dur pour ne pas être trop maternante. Dans des situations compliquées, la transgression est la seule réponse possible ; par exemple ce qui est ressortit du plus grand mur à Lima (capitale) que j'ai fait peindre par le collectif ‘mad society' est complétement abstrait. »


Rafaël Schacter conclu : « Le pouvoir des mots est important, utiliser art contemporain est trop vague… il faut planter une graine, un néologisme qui va pousser et définir quelque chose. »

Après cette conférence, j'ai participé à quelques visites guidées.

Avec les participants j'ai pu redécouvrir certaines œuvres des années passées :

Otecki
Harsa
Nelio
Akay et Rae
Hello Monsters
Nelio et Quillograma

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Mais aussi et surtout, découvrir celles réalisées cette année :

Etienne Bultingaire
Pastel
Tellas
Zozen et mina
Graphic Surgery
Jaz
Elian
Ever
Frères Ripoulain
Momo

En attendant la cinquième édition de Bien Urbain en 2015, vous pouvez partir à la découverte des œuvres réalisées en parcourant les rues de Besançon à l'aide de la carte disponible sur le site www.bien-urbain.fr.


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